Déjeuner

L’Apothermum

De Re Coquinaria, 58

 

L’Apothermum, littéralement « après le bain » est le nom du repas le plus répandu du monde romain que l’on consommait après avoir passé une matinée aux thermes. Nous avons choisi de vous proposer la version du cuisinier Apicius. Certains le considèrent comme l’ancêtre de la semoule au lait que l’on peut consommer aujourd’hui.

Ingrédients

  • 1/2 litre de lait
  • 50 grammes de semoule
  • 3 cuillères à soupe de miel au romarin
  • 2 cl d’huile d’olive
  • 1 pincée de poivre gris moulu
  • 1 dl de vin paillé
  • 2 cuillères à soupe de raisin secs (sultanine)
  • 3 cuillères à soupe d’amandes effilées
  • 2 cuillères à soupe de pignons de pin
  • Un soupçon de nuoc mam (équivalent actuel du garum).

Préparation

  1. Verser dans une casserole le lait entier, le miel, l’huile d’olive, les raisins secs, les pignons de pain et les amandes effilées. Ajouter un tour de poivre du moulin (ou une pincée de poivre moulu) et quelques gouttes de nuoc-mam (garum).
  2. Porter le tout à ébullition.Verser la semoule à la préparation. Cuire pendant 5 minutes en remuant constamment.
  3. Ajouter le paillé et poursuivre la cuisson 2 minutes supplémentaires.
  4. Verser dans des ramequins individuels ou dans des coupes et laisser reposer la préparation.
  5. Servir froid, agrémenté au besoin d’une pincée de poivre du moulin.

 

Aspects historiques et archéologiques autour du pain

Pain inventorié 75688 découvert à Herculanum, Ier siècle après J-C., URL : http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/accueil_u.htm Copyright N. Monteix

Pain inventorié 75688 découvert à Herculanum, Ier siècle après J-C.,
http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/accueil_u.htm
Copyright N. Monteix

Dés la protohistoire les céréales, sauvages puis domestiquées durant le Néolithique, constituaient l’un des éléments de base du régime alimentaire des sociétés méditerranéennes. Les romains, comme les étrusques avant eux, consommaient traditionnellement celles-ci sous la forme de bouillies ou de galettes non levées, confectionnées en contexte domestique.

Mais ces céréales rentraient également dans la fabrication d’aliments cuits, comme naturellement le pain, qui peut prendre alors de nombreuses formes en fonctions des céréales utilisées.

Les études récentes des boulangeries ou pistrinae de Pompéi, menées par Nicolas Monteix (Université de Rouen), ont montrés que le pain a mis plusieurs siècles avant de s’imposer dans la vie quotidienne romaine. En effet, alors que ces boulangeries ont été daté de la première moitié du Ier siècle de notre ère, les auteurs latins comme Pline l’ancien et Plaute font remonter les premières boulangeries à la fin du IIIe ou au début du IIe siècle avant J-C. Mais ces sources littéraires n’évoquent que Rome et la vie de son élite, et non pas des villes romaines ordinaires comme Pompéi dans laquelle le pain a mis plus de temps à s’imposer. De plus, cette consommation nouvelle entraîne alors d’importants changements, à la fois dans le régime alimentaire, mais aussi au sein même de la trame urbaine car la fabrication du pain nécessite une certaine infrastructure. Ce sont ces installations que nous allons aborder ensemble.

La ville de Pompéi, figée par l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère, présente une conservation exceptionnelle, et a ainsi livrée de nombreux vestiges archéologiques de ces infrastructures liées à la production de pain. Les chercheurs ont ainsi pu restituer les étapes de fabrications et les différentes installations. Tout d’abord, la confection de bouillies, galettes et de pain nécessitent la préparation des céréales en farine : la mouture.

Meule manuelle à catillus (meule tournante) et meta (meule dormante), Pompéi (commerce alimentaire VII), Ier siècle après J-C., URL : http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/accueil_b.htm Copyright : cliché N. Monteix.

Meule manuelle à catillus (meule tournante) et meta (meule dormante), Pompéi (commerce alimentaire VII), Ier siècle après J-C., URL : http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/accueil_b.htm
Copyright : cliché N. Monteix.

Pour cela certaines maisons disposaient de meules manuelles, employées alors pour un usage domestique, mais de véritables zones de mouture étaient aménagées pour accueillir des meules et des moulins « à sang » de grande capacité, entraînes par des hommes ou des ânes.

Meule à levier, composée d'un calillus et d'une meta, Pompéi (boulangerie I 12, 1‑2), Ier siècle après J-c., URL : http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/accueil_d.htm Copyright EFR – A. Gailliot

Meule à levier, composée d’un calillus et d’une meta, Pompéi (boulangerie I 12, 1‑2), Ier siècle après J-c.,
URL : http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/accueil_d.htm
Copyright EFR – A. Gailliot

Ces meules étaient constituées d’une partie dormante ou meta, sur laquelle la céréale était broyée sous l’action de la meule tournante ou catillus. La farine obtenue était alors placée dans un pétrin mécanique en présence d’eau tiède, actionné le plus souvent  un homme ; ces pétrins étaient constitués d’un bloc de lave évidé dans lequel était placé un élément métallique, généralement en fer, permettant de mélanger la pâte. Celle-ci était alors placée sur des planches ou dans des jattes pour pouvoir lever et ensuite façonnée en pains. Vient alors l’étape clé de la cuisson, qui nous a laissée de nombreux vestiges archéologiques.

En effet, Pompéi et Herculanum nous ont livrées une série importante de fours parfaitement conservés, rompant avec les vestiges courants de fours arasés fouillés dans le reste du monde romain. L’étude de ces fours et de leur situation a montré que la cuisson du pain n’était pas réservée aux pistrinae mais que certaines grandes maisons disposaient de leur propre four à pain. Ces fours sont construits le plus souvent en briques ou en tuiles, alors que les zones d’enfournement des pains, la gueule, sont composées de plaques de basalte. La bonne cuisson des pains est assuré par un système de construction en voûte de briques qui permet d’emmagasiner la chaleur et de la restituer durant la cuisson. En ce qui concerne le combustible, outre le bois, les études de N. Monteix ont montrées pour Pompéi l’utilisation massive de noyaux d’olives, qui détiennent un fort pouvoir calorifère.

Peinture murale pompéienne représentant un candidat électoral distribuant du pain, Pompéi, Ier siècle après J-C., conservée au Musée archéologique de Naples. URL : http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/accueil_dd.htm Copyright Musée archéologique national de Naples – cliché N. Monteix

Peinture murale pompéienne représentant un candidat électoral distribuant du pain, Pompéi, Ier siècle après J-C., conservée au Musée archéologique de Naples.
http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/accueil_dd.htm
Copyright Musée archéologique national de Naples – cliché N. Monteix

On voit donc que le pain connait un long développement, et que celui entraîne la mise en place de nombreuses installations. A Pompéi, le pain semble être encore un élément nouveau puisque un candidat électoral l’utilise dans une représentation de distribution comme argument électoral (voir photographie).

Liens bibliographiques

Il serait particulièrement intéressant de poursuivre la lecture des travaux de N. Monteix (Université de Rouen) sur les  boulangeries de Pompéi, et de Mathieu Poux (Université Lyon II) en Gaule romaine.

Anthropologie du pain

« Du pain et des jeux »

Peinture murale représentant un plate de bouillie et un pain rond, Pompéi; Ier siècle après J-C., Copyright Soprintendenza Speciale Pompei, Ercolano, Stabia.

Peinture murale représentant un plate de bouillie et un pain rond, Pompéi; Ier siècle après J-C.,
Copyright Soprintendenza Speciale Pompei, Ercolano, Stabia.

On raconte que Jules César mangeait des tartines aillées au petit-déjeuner… Les céréales se trouvaient en effet à la base du régime alimentaire romain. Outre le millet, le sésame, l’avoine, le seigle ou l’orge, on retrouve ainsi le blé, dont la farine était utilisée pour la préparation du pain.

Avant l’introduction du blé raffiné (Triticum) à Rome au cours du Vème siècle avant J.-C. , en fait de pain stricto sensus, on préparait des sortes de bouillies à mi-chemin entre soupe et porridge, à partir d’épeautre (Triticum Spelta), également appelée « blé des gaulois », une céréale dont la balle protectrice du grain était conservée. Ce met valu aux Romains le sobriquet de « mangeurs de bouillie » de la part des Grecs, largement en avance en matière de boulangerie.

Le blé nu Triticum permit donc la fabrication d’une farine plus fine et donc du pain, qui supplanta rapidement les anciennes préparations issues du Triticum Spelta. Ce nouveau pain romain n’était cependant pas tout-à-fait analogue au notre et constituait un apport calorique nettement plus important.

La production du pain pouvait se faire directement au sein du foyer en ce qui concerne les villae, où l’on retrouve systématiquement des fours, tandis que dans les villes le pain était vendu en chez des boulangers (pistor triticarius) qui le préparaient. On recourrait à différentes sortes de granulométrie de farine (fine ou siligo ; la simila intermédiaire et la farine complète cibarium) et de céréales, afin d’obtenir des pains variés : pain blanc ou pain noir, avec ou sans levain, des pains relevés d’épices, des pains aux graines de pavot etc. On pouvait même le trouver sous forme de biscuits secs à la longue conservation à destination des marins. Avec la coutume du banquet, les pains pouvaient être façonnés et prendre toutes sortes de formes, de poétiques pains en formes de lyres ou d’oiseaux, mais également des représentations grivoises. Le pain le plus répandu demeurait cependant la miche de pain d’orge. Bon marché et consistante, elle était consommée par les gladiateurs.

En effet, dès le IIème siècle et jusqu’à Aurélien, les citoyens de Rome, privilégiés par les lois sociales de distribution de certaines vivres, leges frumentariae, reçevaient grains, pain et huile d ‘olive. Ce sont ces lois-mêmes que le poète satyrique Juvénal, jugeant démagogiques, dénonçait par la fameuse expression panem et circenses, « du pain et des jeux ». César et Auguste, s’ils n’osèrent supprimer cette loi, en réduisirent toutefois le nombre des bénéficiaires.

Liens bibliographiques

Dîner

Reconstitution de cuisine romaine à l'époque impériale, Museo Civico Archeologico di Norma,  URL: http://www.culturalazio.it/musei/civicoarcheologiconorma/argomento1.php?id=8&vms=6&page=1 Copyright Museo Civico Archeologico di Norma

Reconstitution de cuisine romaine à l’époque impériale, Museo Civico Archeologico di Norma, URL: http://www.culturalazio.it/musei/civicoarcheologiconorma/argomento1.php?id=8&vms=6&page=1
Copyright Museo Civico Archeologico di Norma

Pour le dîner,  nous avons choisi de vous proposer deux recettes :  un plat assez simple, le Saucisson aux lentilles, qui était consommé régulièrement par la majeur partie de la population, la plèbe; puis une seconde recette, le Jambon au miel et au figues, plus complexe, et sans doute réservé à l’élite patricienne ou aux plus riches plébéiens.

Saucisson aux lentilles

Cette recette devait souvent constituer le dîner typique d’un plébéien ou même d’un  légionnaire. En outre, il semble que ce plat était d’origine gauloise : en effet les ingrédients principaux, le saucisson et légumes employés, étaient très répandu sur l’ensemble du territoire de la Gaule.

Ingrédients

  •  250 grammes de lentilles,
  • 1 saucisse ( possiblement fumée) de maximum 500 grammes,
  • 2 litres de bouillon de poule,
  • 100 g de vert de poireau,
  • 200 g de carottes,
  • Un peu de coriandre fraîche,
  • 1 cuillerée à soupe de miel,
  • 4 cuillerées à soupe de vinaigre de vin,
  • 10 cl de vin  defrutum  ( équivalent d’un porto ou malaga),
  • 4 cuillerées à soupe d’huile d’olive,
  • sel fin et poivre.

Procédé

  1. Laisser les lentilles dans l’eau froide pendant quelques heures.
  2. Laver les lentilles à l’eau courante et les mettre dans une grande casserole avec les deux litres de bouillon de poule et porter à ébullition.
  3. Laver et le hacher finement en petits carrés le vert de poireau. Laver la coriandre, l’éponger et la ciseler. Éplucher la carotte et la râper.
  4. Une fois que le bouillon bout, ajouter le vert de poireau, la carotte  et la coriandre hachés et laisser frémir 10 minutes.
  5. Ajouter la saucisse fumée et poursuivre la cuisson pendant 10 minutes.
  6. Dans une petite casserole, faire bouillir le miel puis lui ajouter le vinaigre, le defrutum,  la coriandre, la menthe, 2 pincées de sel, quelques tours de moulin à poivre et laisser réduire à feu doux pendant 5 à 10 minutes.
  7. Enfin découper la saucisse en rondelles d’environ 1 cm d’épaisseur ; arroser les lentilles dans la sauce au miel et au vin cuit. Disposer les rondelles de saucisses sur les lentilles, arroser le tout de l’huile d’olive puis ciseler quelques feuilles de coriandre fraîche au-dessus du plat et servir tiède.

 

Jambon au miel et aux figues

De Re Coquinaria, VII 290

Cette recette en version française est issue de la traduction de Jacques André :
« Après avoir fait cuire le jambon à l’eau avec beaucoup de figues sèches et trois feuilles de laurier, détachez la couenne et faites des incisions en carrés, que vous remplirez de miel. Enrobez ensuite le jambon d’une pâte de farine et d’huile, lui rendant ainsi une peau. Quand la pâte sera cuite, enlevez du four tel quel et servez ».
Ingrédients
  • Noix de jambon (environ 1 kg)
  • 250 g de Figues séchées
  • 3 feuilles de laurier
  • 500 g de farine
  • 3 cuillères à soupe de miel
  • Huile d’olive
Procédé
A partir des indications d’Apicius, nous allons essayer d’adapter la recette à notre époque :
  1. Puisque un jambon entier peut être trop grand si l’on cuisine pour 4-5 personnes. Nous vous conseillons de demander à votre boucher la noix du jambon.
  2. Ensuite il faut le cuire pendant 2 heures dans de l’eau, avec les figues et les feuilles de laurier.
  3. Préparez une pâte avec de la farine et de l’eau. Cela sert à conserver l’arôme du jambon et donc elle peut rester un peu farineuse.
  4. Une fois la pâte prête, enrobez le jambon et les figues.
  5. Ensuite préchauffez le four à 200° C. et faites cuire pendant une heure, jusqu’à ce que la pâte soit cuite.
  6. Enfin coupez-le en tranche et vous pouvez le servir froid ou chaud comme vous préférez.

Archéologie : une étude des tabernae

Quand on visite les vestiges archéologiques de Rome, Ostie ou Pompéi il y a un bâtiment que l’on rencontre à tout bout de champs le long des viae  anciennes : les tabernae. Il s’agit d’une structure avec une fonction équivalente à celle des restaurants actuels. Normalement elle occupe une seule pièce voûtée assez grande.

Tabernarum d'Herculanum, Ier siècle après J-C.,  URL : http://www.pompeiisites.org/Sezione.jsp?titolo=Mediagallery&idSezione=98,  Copyright Soprintendenza Speciale Pompei, Ercolano, Stabia.

Tabernarum d’Herculanum, Ier siècle après J-C.,
URL : http://www.pompeiisites.org/Sezione.jsp?titolo=Mediagallery&idSezione=98,
Copyright Soprintendenza Speciale Pompei, Ercolano, Stabia.

Le vestige archéologique caractéristique qui permet aujourd’hui son identification est la longue table en pierre projetée vers la rue et qui accueillait les denrées alimentaires en vente, à emporter ou sur place.

Cette table était divisée en 5 ou six parties et chacune accueillait un récipient creusé dans la pierre avec des boissons et des plats encore chauds. Les cuisines étaient cachées au-delà de la pièce où on pouvait consommer les repas.

Un des exemples les plus célèbres et mieux conservés est celui des Marchés de Trajan près du Forum Boarium de Rome, réalise à partir d’un projet d’Apollodore de Damas. Normalement elle était fréquentée par les ouvriers et les artisans, qui souvent avaient leurs ateliers juste en face ou à l’étage, et on pouvait manger le plat du jour et boire du vin. Les prix étaient vraiment très bas. En outre on pouvait acheter du pain et d’autres aliments encore à cuisiner à la maison. Même si la taberna eût son apogée à l’époque romaine ce furent les Grecs qui les créèrent à partir du Vème avant J.-C. Ensuite, avec la colonisation de la Grande Grèce et après la conquête romaine, des tabernae furent installées à Pompéi et Rome et d’ici au reste de l’empire. Comme nous l’expliquent Crook, Andrew Linott, et Elizabeth Rawson de l’Université de Cambridge, il y avait deux typologies de tabernae :

  • Les tabernae installées en bâtiments privés ;
  • Les tabernae installées en bâtiments publiques.

Dans le premier cas on peut citer l’exemple des insulae , les îlots d’habitation à plan carré qui organisaient l’espace des villes autour du Cardus et du Decumanus maximus. Généralement sur chaque insula on trouvait un grand palais qui pouvait arriver jusqu’à six étages. Au niveau de la rue il y avait les boutiques et donc meme les tabernae, au premier étage des notables ou des riches « liberti », tandis que aux derniers étages, sales et dangereux, il y avait les plus pauvres. Dans l’autre cas, à l’intérieur de bâtiments publics, il faut présenter deux exemples principaux : dans les complexes thermaux et dans les marchés. En effet à partir de l’époque impériale les thermes étaient non seulement un lieu où on se lavait et on faisait de la gymnastique, mais aussi un centre politique et culturel d’importants échanges et fréquentations. Par exemple certains philosophes tenaient des cours dans les salles des thermes et donc ils avaient besoin d’un local où goûter de la nourriture pendant la journée. Par conséquent les architectes de l’époque eurent l’idée d’y installer aussi des bibliothèques et des tabernae. La plupart des recettes dont Apicius nous parle et toutes celles que nous vous avons proposé étaient disponibles dans ces tabernae à tout moment de la journée. Il s’agissait de l’unité fondamentale de l’économie et du commerce romain car dans n’importe quel endroit de l’empire les citoyens Romains avaient la possibilité de manifester leur romanité à travers la nourriture et les biens en vente. En somme, la taberna est aussi une métaphore de la romanisation à travers la culture alimentaire et la globalisation des échanges commerciaux.

Bibliographie 

  • J.A. CROOK, A. LINOTT, E. RAWSON, The Last Age of the Roman Republic 146-43 B.C., Cambridge, 1994

 

Anthropologie : différences de goûts entre les peuples

L’Homme ne consomme pas les mêmes mets à travers le monde ni à travers le temps, et ce en dépit d’une mondialisation qui tend à uniformiser les coutumes culinaires pour la partie du globe qu’elle concerne. Pourquoi certaines saveurs font-elles partie intégrante du paysage culinaire dans certaines parties du monde, tandis qu’ailleurs les consommer tiendrait de l’hérésie ?

Pour reprendre le mot de Claude Lévi-Strauss : « Répondant aux exigences du corps, déterminée dans chacun de ses modes par la manière dont ici et là, l’homme s’insère dans l’univers, placée donc entre la nature et la culture, la cuisine assure plutôt leur nécessaire articulation. Elle relève des deux domaines et reflète cette dualité dans chacune de ses manifestations. ». Ces différences tiennent donc du croisements de facteurs aussi bien culturels que géographiques, climatiques et économiques, selon la disponibilité des denrées, leurs répartition au sein de la population et les usages en cours à un moment donné; qu’ils soient d’ordre religieux ou sanitaire. La cuisine médiévale peut par exemple souffrir d’une mauvaise réputation de nos jours, en particulier à cause de l’emploi en grande quantité d’épices afin de dissimuler le goût avarié de la viande aux tables de l’élite. La vérité est plus complexe et si l’on pouvait en effet utiliser les épices afin de pallier les problèmes liés aux difficultés de conservation et à la lenteur du transport, cuisine et médecine étaient intimement liées et l’usage des épices était avant tout diététique. Avec l’évolution des connaissances dans le domaine médical, certaines de ces règles, tombées en désuétude, sont donc reçues aujourd’hui avec circonspection.

Dans sa critique de l’ouvrage Cuisine médiévale pour table d’aujourd’hui par Jeanne Bourrin, Françoise Sabban évoque avec justesse un processus de combinaison complexe, voire d’une « grammaire culinaire » régissant les régimes médiévaux. Comme en sémiotique ou en linguistique, ce processus s’applique indépendamment à toute culture.

Avec les sociétés industrielles, et ce sans doute pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la plupart des hommes ne participe plus à la production de nourriture et laissent le soin à d’autres de produire leur propre subsistance. Dans les sociétés traditionnelles, presque tous les hommes participaient à la production de nourriture, la grande majorité d’entre eux étant agriculteurs, et/ou pratiquant des activités de chasse et de pêche. Dès lors, le contrôle direct qui s’opérait alors sur ce que nous mangions n’existe plus. L’homme s’est par conséquent éloigné de la nature nourricière, il est devenu par trop culturel, et la recherche du profit dans la production de nourriture peut alors provoquer les ravages que l’on connaît dans l’alimentation moderne (fast food, produits génétiquement ou chimiquement modifiés, etc…).

  • Lévi-Strauss C., Mythologiques III. L’origine des manières de table, Paris, Plon, 1968.
  • Bourin J., Sabban L., Les recettes de Mathilde Brunei, Cuisine médiévale pour table d’aujourd’hui, Médiévales, 1984, vol. 3, n° 7, pp. 113-118.
  • Glick Th., Livesey S., Wallis F. (editors), Medieval science, technology, and medecine, an encyclopedia, p. 61-64.

Petit Déjeuner

Pain miellé d’Apicius

De Re Coquinaria, VII-296

Rucher en terre cuite , Villa Imgiebah, Malte, Ier siècle URL : http://www.encyclopedie-universelle.com/abeille1/imgiebah-xemxija-malte-ile-rucher-rome-interieur-ruches.jpg Copyright Département du Tourisme de Malte

Rucher en terre cuite , Villa Imgiebah, Malte, Ier siècle
URL : http://www.encyclopedie-universelle.com/abeille1/imgiebah-xemxija-malte-ile-rucher-rome-interieur-ruches.jpg
Copyright Département du Tourisme de Malte

Ingrédients  

  • Lait
  • Huile (d’olive de préférence)
  • Miel (de romarin de préférence)
  • 4 tranches de pain rassis coupées en petits carrés

Procédé 

Utilisez des tranches de pain de mie rassis ou de pain brioché, et coupez-les en quatre. Trempez les  carrés de pain dans un récipient contenant un fond de lait. Le pain doit alors être légèrement imprégné, mais non gorgé de lait et trop ramolli. Ensuite faites les frire dans une poêle contenant de l’huile chaude, jusqu’à ce qu’ils deviennent dorés et croustillants. Enfin enrobez-les généreusement de miel de romarin.

Bibliographie 

  • APICIUS, De Re Coquinaria.
  • ROBBINS D., Roman times, 1995.

Aspects archéologiques et  historiques autour du miel

Dans la recette du petit déjeuner la plus répandue de l’Antiquité Romaine que l’on vient de vous proposer, les ingrédients principaux sont le lait et le miel. Il ne faut pas oublier que jusqu’à la Conquête Arabe de l’Espagne au IXème siècle, le miel était le produit sucrant le plus répandue en Occident. Ensuite, le miel a connu une assez longue période de déclin à cause du grand succès du sucre jusqu’au XVIIIème  siècle. Pendant cette phase on l’utilisait notamment dans la conception de médicaments. A partir du XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui il a repris sa place « d’adoucissant » culinaire par excellence dans de nombreuses cuisines. Toutefois la pollution et le réchauffement climatique mettent de plus en plus en danger la production du précieux nectar. C’est pour cela que de plus en plus d’apiculteurs ont décidé de revenir à des techniques de production biologiques et traditionnelles. Parfois il s’agit de techniques qui ne différent pas beaucoup de celles utilisées par les Romains. Mais comment produisait-on le miel pendant l’Antiquité ?

Tout d’abord il est intéressant de noter que les premières traces qui attestent l’utilisation de miel datent du IXème millénaire avant J.-C. en Espagne. A ce propos c’est curieux qu’aujourd’hui certains « chasseurs de miel » en Inde adoptent des techniques préhistoriques ; c’est-à-dire qu’ils prélèvent le miel directement sur les arbres après avoir affaibli les abeilles avec la fumée d’une torche. Après il faudra attendre jusqu’en 2400 av. J.-C. pour trouver pour la première fois chez les Egyptiens l’élevage des abeilles. A partir de cette époque-là le miel fut considéré jusqu’à la Rome des origines comme la nourriture des dieux par excellence. Aristote-même s’intéressa aux origines du miel ainsi qu’aux méthodes de production. A partir du IIIème av. J.-C. on assiste à un véritable essor de rédaction de manuels consacrés ainsi  à l’apiculture. C’est notamment le cas de l’œuvre de Columelle avec son De Re Rustica. Dans ce précieux manuel d’agronomie il nous renseigne aussi à propos des mots grecs et latins pour la ruche : μελιττῶνες, « melittones » en grec et alvarius en latin. En latin on trouve aussi d’autres versions pour ce mot comme alvearia, qui apparait dans les Géorgiques de Virgile. Grace à l’« Edit du Maximum » de Dioclétien nous savons que le prix moyen du miel était le même qu’une amphore de vin de très bonne qualité. Jusqu’au XIXème siècle les apiculteurs ont utilisé les mêmes techniques de production de l’Antiquité. Autour de la Méditerranée la procédure la plus répandue consistait à réaliser des ruches cylindriques en céramique (voir photographie) qui étaient placées au milieu d’un bois ou aux limites d’un champ agricole.

Rucher en pierre , Villa Imgiebah, Malte, Ier siècle après J-C, URL : http://www.encyclopedie-universelle.com/abeille1/imgiebah-xemxija-malte-ile-rucher-rome.jpg Copyright Département Tourisme de Malte.

Rucher en pierre , Villa Imgiebah, Malte, Ier siècle après J-C,
URL : http://www.encyclopedie-universelle.com/abeille1/imgiebah-xemxija-malte-ile-rucher-rome.jpg
Copyright Département Tourisme de Malte.

  Voici les conseils de Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle :

 (Livre XXI, 48 – 49) : «Les ruches doivent regarder le lever équinoxial, et éviter l’Aquilon aussi bien que le Favonius. Les meilleures ruches sont celles d’écorce, ensuite celles de férules, en troisième lieu celles d’osier; on en a fait faire en pierre spéculaire, afin d’observer le travail des abeilles à l’intérieur (XVI, 16). Il est très avantageux d’oindre tout autour la ruches avec de la fiente de bœuf.

L’opercule doit être mobile par derrière, afin qu’on puisse le pousser en dedans, si la ruche est grande ou l’opération peu productive, de peur que, découragées, les abeilles ne renoncent à travailler; puis on le ramène peu à peu en arrière, les trompant ainsi sur le progrès de leur ouvrage.

XLVII. [2] En hiver on couvrira les ruches avec de la paille; on fera de fréquentes fumigations, surtout avec la fumée de fiente de bœuf. Elle leur est bonne, tue les insectes qui se développent, les araignées, les papillons, les vers, et même excite les abeilles. Il est facile de les débarrasser des araignées, mais le papillon est un ennemi plus dangereux : pour le détruire, on choisit au printemps, quand la mauve mûrit, une nuit sans lune, par un ciel serein, et on allume des flambeaux devant la ruche : les papillons se jettent dans la flamme.

XLVIII. [1] Si l’on pense que les abeilles n’ont plus d’aliments, on mettra à la porte de la ruche des raisins secs et des figues pilées, ou bien de la laine cardée, humectée avec du vin cuit ou du raisiné, ou de l’eau miellée. On y met aussi de la chair de poule crue. En certains étés même, où une sécheresse continue leur a enlevé l’aliment fourni par les fleurs, il faut leur donner de la nourriture comme il vient d’être dit. Quand on récolte le miel, on frotte les issues des ruches avec le mélissophyllon (mélisse) ou le genêt broyé, ou bien on les entoure par le milieu avec la vigne blanche, de peur que les abeilles ne se dispersent. On recommande de laver avec de l’eau les pots à miel et les rayons : cette eau, bouillie, fait, dit-on, un vinaigre très salutaire. »

Bibliographie

  • Columelle, De Re Rustica.
  • Pline l’Ancien, Histoire Naturelle.
  • Virgile, Géorgiques.

http://remacle.org/bloodwolf/erudits/varron/agriculture3.htm http://www.sito.regione.campania.it/agricoltura/pubblicazioni/pdf/apicoltura.pdf http://sphakia.classics.ox.ac.uk/beeconf/francis.html

Anthropologie du petit déjeuner

Comme il nous arrive aujourd’hui, quand notre ami César se réveillait à l’aube il y a plus de 2000 ans après une longue nuit de sommeil, il avait faim, et prenait alors prendre son premier repas de la journée : le jentaculum. Toutefois la plupart des Romains se limitaient à manger à la hâte un morceau de pain ou de galette, accompagné d’un peu d’eau. Au contraire, les plus riches, les patriciens (notamment notre César), avaient la possibilité de goûter chaque jour à un petit déjeuner gourmand différent. Pour eux le fait de bien manger  était ainsi une façon pour montrer à tout le monde leur réussite sociale. Si l’on analyse l’étymologie du premier repas de la journée dans différentes langues, on se rend compte des différentes conceptions autour de ce moment important de la journée. Dans les pays du Nord (comme la France, le Royaume Uni, ou l’Allemagne) on parle de breakfast (littéralement  une « pause rapide ») ou de petit déjeuner. Il s’agit donc d’un moment plus ou moins court et qui, il y a quelques siècles encore, était semblable à celui de l’époque romaine : un morceau de pain, accompagné le plus souvent d’un peu d’eau ou de vin. En espagnol on emploie le mot « desayuno », étymologiquement assez proche du français « déjeuner » ; on trouve donc ici l’idée d’un repas plutôt abondant et riche. Toutefois en latin on retrouve le mot collatio, qui dérive du verbe confero  (« contribuer »). Aux origines il s’agissait donc, d’un repas en famille ou entre amis, au cours duquel chacun apportait quelque chose. De plus  en latin on trouve un autre terme assez similaire, celui de colatio, qui signifie « soupe ». Ceci  nous permet alors de faire l’hypothèse que les romains accompagnaient sans doute une boisson (à base d’eau ou de lait) avec un élément solide, comme le pain ou la galette,  ou sous la forme d’une soupe de céréales. Si ce qu’on vient d’affirmer représente le petit déjeuner du Romain « standard », il ne faut pas oublier qu’il y avait de nombreuses différences même  à l’intérieur de l’Empire. En Afrique du nord on consommait plus de miel que dans le reste des provinces, d’autant que ces populations étaient parmi les producteurs principaux. En Germanie on consommait du pain plus foncé, car celui intégrait aux farines de blé d’autres farines de céréales, notamment de céréales vêtues.

Aujourd’hui tout est plus confondu car dans n’importe quel restaurant ou hôtel on trouvera le petit déjeuner dit continental : il est composés de boissons (café, cappuccino, lait, thé, chocolat chaud, jus de fruit, yaourts), associés à des douceurs (gâteaux, crêpes, confitures, viennoiseries), fruits, ou encore à des produits salés comme le fromage et la charcuterie. Même si parfois des traditions régionales restent en place, on note de plus en plus la diffusion des mêmes aliments dans l’ensemble du globe. Toutefois, même si ce que nous mangeons peut changer vite suite à une mode ou à d’autres exigences, ce qui change plus difficilement est la façon de consommer ce repas. Le petit déjeuner n’est pas tout simplement le premier repas du jour, mais il représente aussi une pratique culturelle très ancienne qui nous permet de comprendre pleinement les traditions de nos ancêtres et de nombreuses civilisations.

Bibliographie

  • DE CASTRO J.M. The time of day of food intake influences overall intake in humans, 2004.