L’Apothermum
De Re Coquinaria, 58
L’Apothermum, littéralement « après le bain » est le nom du repas le plus répandu du monde romain que l’on consommait après avoir passé une matinée aux thermes. Nous avons choisi de vous proposer la version du cuisinier Apicius. Certains le considèrent comme l’ancêtre de la semoule au lait que l’on peut consommer aujourd’hui.
Ingrédients
- 1/2 litre de lait
- 50 grammes de semoule
- 3 cuillères à soupe de miel au romarin
- 2 cl d’huile d’olive
- 1 pincée de poivre gris moulu
- 1 dl de vin paillé
- 2 cuillères à soupe de raisin secs (sultanine)
- 3 cuillères à soupe d’amandes effilées
- 2 cuillères à soupe de pignons de pin
- Un soupçon de nuoc mam (équivalent actuel du garum).
Préparation
- Verser dans une casserole le lait entier, le miel, l’huile d’olive, les raisins secs, les pignons de pain et les amandes effilées. Ajouter un tour de poivre du moulin (ou une pincée de poivre moulu) et quelques gouttes de nuoc-mam (garum).
- Porter le tout à ébullition.Verser la semoule à la préparation. Cuire pendant 5 minutes en remuant constamment.
- Ajouter le paillé et poursuivre la cuisson 2 minutes supplémentaires.
- Verser dans des ramequins individuels ou dans des coupes et laisser reposer la préparation.
- Servir froid, agrémenté au besoin d’une pincée de poivre du moulin.
Aspects historiques et archéologiques autour du pain
Dés la protohistoire les céréales, sauvages puis domestiquées durant le Néolithique, constituaient l’un des éléments de base du régime alimentaire des sociétés méditerranéennes. Les romains, comme les étrusques avant eux, consommaient traditionnellement celles-ci sous la forme de bouillies ou de galettes non levées, confectionnées en contexte domestique.
Mais ces céréales rentraient également dans la fabrication d’aliments cuits, comme naturellement le pain, qui peut prendre alors de nombreuses formes en fonctions des céréales utilisées.
Les études récentes des boulangeries ou pistrinae de Pompéi, menées par Nicolas Monteix (Université de Rouen), ont montrés que le pain a mis plusieurs siècles avant de s’imposer dans la vie quotidienne romaine. En effet, alors que ces boulangeries ont été daté de la première moitié du Ier siècle de notre ère, les auteurs latins comme Pline l’ancien et Plaute font remonter les premières boulangeries à la fin du IIIe ou au début du IIe siècle avant J-C. Mais ces sources littéraires n’évoquent que Rome et la vie de son élite, et non pas des villes romaines ordinaires comme Pompéi dans laquelle le pain a mis plus de temps à s’imposer. De plus, cette consommation nouvelle entraîne alors d’importants changements, à la fois dans le régime alimentaire, mais aussi au sein même de la trame urbaine car la fabrication du pain nécessite une certaine infrastructure. Ce sont ces installations que nous allons aborder ensemble.
La ville de Pompéi, figée par l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère, présente une conservation exceptionnelle, et a ainsi livrée de nombreux vestiges archéologiques de ces infrastructures liées à la production de pain. Les chercheurs ont ainsi pu restituer les étapes de fabrications et les différentes installations. Tout d’abord, la confection de bouillies, galettes et de pain nécessitent la préparation des céréales en farine : la mouture.
Pour cela certaines maisons disposaient de meules manuelles, employées alors pour un usage domestique, mais de véritables zones de mouture étaient aménagées pour accueillir des meules et des moulins « à sang » de grande capacité, entraînes par des hommes ou des ânes.
Ces meules étaient constituées d’une partie dormante ou meta, sur laquelle la céréale était broyée sous l’action de la meule tournante ou catillus. La farine obtenue était alors placée dans un pétrin mécanique en présence d’eau tiède, actionné le plus souvent un homme ; ces pétrins étaient constitués d’un bloc de lave évidé dans lequel était placé un élément métallique, généralement en fer, permettant de mélanger la pâte. Celle-ci était alors placée sur des planches ou dans des jattes pour pouvoir lever et ensuite façonnée en pains. Vient alors l’étape clé de la cuisson, qui nous a laissée de nombreux vestiges archéologiques.
En effet, Pompéi et Herculanum nous ont livrées une série importante de fours parfaitement conservés, rompant avec les vestiges courants de fours arasés fouillés dans le reste du monde romain. L’étude de ces fours et de leur situation a montré que la cuisson du pain n’était pas réservée aux pistrinae mais que certaines grandes maisons disposaient de leur propre four à pain. Ces fours sont construits le plus souvent en briques ou en tuiles, alors que les zones d’enfournement des pains, la gueule, sont composées de plaques de basalte. La bonne cuisson des pains est assuré par un système de construction en voûte de briques qui permet d’emmagasiner la chaleur et de la restituer durant la cuisson. En ce qui concerne le combustible, outre le bois, les études de N. Monteix ont montrées pour Pompéi l’utilisation massive de noyaux d’olives, qui détiennent un fort pouvoir calorifère.
On voit donc que le pain connait un long développement, et que celui entraîne la mise en place de nombreuses installations. A Pompéi, le pain semble être encore un élément nouveau puisque un candidat électoral l’utilise dans une représentation de distribution comme argument électoral (voir photographie).
Liens bibliographiques
Il serait particulièrement intéressant de poursuivre la lecture des travaux de N. Monteix (Université de Rouen) sur les boulangeries de Pompéi, et de Mathieu Poux (Université Lyon II) en Gaule romaine.
- http://cefr.revues.org/328
- http://archeoportfolio.efrome.it/pistrina/indexdiapo.htm
- https://www.academia.edu/5469300/Cuisines_et_boulangeries_en_Gaule_romaine
Anthropologie du pain
« Du pain et des jeux »
On raconte que Jules César mangeait des tartines aillées au petit-déjeuner… Les céréales se trouvaient en effet à la base du régime alimentaire romain. Outre le millet, le sésame, l’avoine, le seigle ou l’orge, on retrouve ainsi le blé, dont la farine était utilisée pour la préparation du pain.
Avant l’introduction du blé raffiné (Triticum) à Rome au cours du Vème siècle avant J.-C. , en fait de pain stricto sensus, on préparait des sortes de bouillies à mi-chemin entre soupe et porridge, à partir d’épeautre (Triticum Spelta), également appelée « blé des gaulois », une céréale dont la balle protectrice du grain était conservée. Ce met valu aux Romains le sobriquet de « mangeurs de bouillie » de la part des Grecs, largement en avance en matière de boulangerie.
Le blé nu Triticum permit donc la fabrication d’une farine plus fine et donc du pain, qui supplanta rapidement les anciennes préparations issues du Triticum Spelta. Ce nouveau pain romain n’était cependant pas tout-à-fait analogue au notre et constituait un apport calorique nettement plus important.
La production du pain pouvait se faire directement au sein du foyer en ce qui concerne les villae, où l’on retrouve systématiquement des fours, tandis que dans les villes le pain était vendu en chez des boulangers (pistor triticarius) qui le préparaient. On recourrait à différentes sortes de granulométrie de farine (fine ou siligo ; la simila intermédiaire et la farine complète cibarium) et de céréales, afin d’obtenir des pains variés : pain blanc ou pain noir, avec ou sans levain, des pains relevés d’épices, des pains aux graines de pavot etc. On pouvait même le trouver sous forme de biscuits secs à la longue conservation à destination des marins. Avec la coutume du banquet, les pains pouvaient être façonnés et prendre toutes sortes de formes, de poétiques pains en formes de lyres ou d’oiseaux, mais également des représentations grivoises. Le pain le plus répandu demeurait cependant la miche de pain d’orge. Bon marché et consistante, elle était consommée par les gladiateurs.
En effet, dès le IIème siècle et jusqu’à Aurélien, les citoyens de Rome, privilégiés par les lois sociales de distribution de certaines vivres, leges frumentariae, reçevaient grains, pain et huile d ‘olive. Ce sont ces lois-mêmes que le poète satyrique Juvénal, jugeant démagogiques, dénonçait par la fameuse expression panem et circenses, « du pain et des jeux ». César et Auguste, s’ils n’osèrent supprimer cette loi, en réduisirent toutefois le nombre des bénéficiaires.
Liens bibliographiques